Chapitre 14 — Dissonances
Maya était allongée sur son lit, les yeux grands ouverts, fixant le plafond. Depuis la veille, son esprit ne cessait de tourner en boucle. Ce dîner avait été un supplice. Elle l’avait redouté, redouté au point de frôler la panique quelques heures avant. Et maintenant que tout était terminé, elle ne ressentait aucun soulagement. Bien au contraire. Le regard de Camille l’obsédait. Cette façon d’observer, de sonder, de sourire avec cette politesse tranchante... Maya n’était pas dupe : Camille avait des soupçons, et elle jouait avec, lentement. Férocement.
Elle se leva et marcha nerveusement dans son petit salon. Loris… Pauvre Loris. Il avait été réquisitionné en dernière minute, un ancien collègue avec qui elle avait gardé un contact amical. Il avait accepté de jouer ce rôle en échange d’un simple dîner et d’un service rendu. Mais sa maladresse avait trahi la mise en scène. Il n’était pas crédible, et Maya le savait. Elle l’avait vu dans le regard d’Adrian, dans celui de Camille.
Elle se sentait prise au piège. Cette relation qu’elle pensait contrôler lui échappait. Depuis qu’elle avait commencé à voir Adrian, c’était elle qui menait la danse. Elle dictait les règles, fixait les limites. Mais depuis quelques semaines, quelque chose avait changé. Il n’était plus aussi attentif. Moins disponible. Moins passionné. Et ça, Maya ne le supportait pas.
Elle regarda l’heure, puis attrapa son téléphone. Elle tapa rapidement un message.
« On doit parler. Viens. »
Moins d’une heure plus tard, Adrian frappa à sa porte. Il entra sans un mot, visiblement fatigué, tendu. Maya referma la porte et croisa les bras.
— Tu comptes me dire ce qu’il se passe ? lança-t-elle sèchement.
— De quoi tu parles ?
— Tu le sais très bien. Depuis deux semaines, t’es ailleurs. Tu réponds à peine, tu fuis les rendez-vous, et hier soir… tu n’as même pas cherché à me regarder.
Adrian soupira et passa une main dans ses cheveux.
— Maya, tu m’as traîné dans un dîner absurde, avec un type dont tu ne te souviens même pas du prénom correctement. Tu crois que je n’ai rien vu ?
— Oh, donc maintenant c’est moi le problème ?! s’emporta-t-elle. Tu crois que c’était facile pour moi ? Tu sais ce que c’est, toi, de devoir faire semblant ?! De sourire à ta femme en sachant qu’elle me soupçonne ?
— Personne t’a forcée à faire ça, Maya. Tu voulais ce jeu, ce secret. Maintenant il devient réel, et tu ne le supportes pas.
— Et toi ? répliqua-t-elle en haussant le ton. Tu crois que je ne remarque rien ? T’as changé, Adrian. Tu me touches à peine, tu ne me regardes plus comme avant. Tu veux savoir ce que je crois ? Que t’es en train de retomber amoureux d’elle.
Un silence brutal s’installa. Adrian détourna les yeux. C’était ce silence-là, plus que des mots, qui blessa Maya. Il n’avait même pas tenté de nier.
— Tu sais quoi ? continua-t-elle, la voix tremblante. T’étais censé être à moi. Pas à moitié. Pas de temps en temps. Tu m’as promis que tu quitterais Camille. T’as dit que t’étais malheureux avec elle. Mais à chaque fois qu’on avance, tu recules.
— Parce que je commence à me rendre compte que tout ça… c’est peut-être une erreur.
Le mot la frappa comme une gifle.
— Une erreur ? répéta-t-elle, sidérée. C’est ça que je suis pour toi maintenant ?
— Non… C’est pas ce que je voulais dire.
Mais c’était trop tard. Maya recula d’un pas, le visage figé. Elle se sentit soudain minuscule dans cette pièce. Vulnérable. Humiliée.
— Sors d’ici, murmura-t-elle.
— Maya…
— Sors, Adrian.
Il resta une seconde figé, puis tourna les talons et quitta l’appartement.
Quand la porte se referma, Maya sentit ses jambes céder. Elle s’effondra sur le canapé, les larmes aux yeux. Ce n’était pas ainsi que les choses devaient tourner. Elle devait gagner. Elle devait le garder. Mais maintenant, elle n’était plus certaine de rien. Pas même de ce qu’elle ressentait vraiment.
Elle regarda son téléphone, hésita, puis l’éteignit.
Le silence s’installa autour d’elle. Pour la première fois depuis longtemps, Maya sentit que le contrôle qu’elle aimait tant... lui échappait totalement.
À suivre...