Le vent de la Dépouille-Réalité laissa dans son sillage un silence étourdissant. Lorsque Kael réapparut dans Elaria, le ciel lui-même se mit à crépiter. La lumière semblait hésiter à le toucher, et même l'Éther frémissait à chacun de ses pas. Il n'était plus le même. Quelque chose en lui avait changé — non seulement sa puissance, mais sa présence. Il n'était plus un simple protagoniste. Il était devenu… une brèche.
Le monde l'avait senti.
Son retour déclencha une onde de choc politique, spirituelle, magique. Les oracles d'Ilros tombèrent en transe. Le Codex de Velkar s'ouvrit seul dans les bibliothèques scellées. Les Dieux Muets murmurèrent à nouveau. Et au sommet du monde, dans une forteresse suspendue au-dessus des cieux : le Conseil du Monde se réunit.
Une convocation fut envoyée.
Pas une invitation, non. Une sommation. Une exigence diplomatique à peine voilée sous la forme d'un ultimatum : « Comparez devant le Conseil ou soyez considéré comme une menace absolue à la structure de la réalité. »
Kael lut les mots sans trembler. Il n'y répondit pas. Il s'y rendit.
Le Sanctuaire du Conseil se situait sur l'île volante d'Asryel, au cœur des Tours Spirales, où le ciel était cousu de runes vivantes. Les représentants des neuf puissances mondiales y siégeaient : elfes crépusculaires, souverains humains, archimages dragons, entités célestes, émissaires des Profondeurs…
Et au centre : le Trône de l'Équilibre, vide depuis trois millénaires.
Kael entra vêtu d'un manteau noir brodé d'or scriptural. Derrière lui flottaient les lettres d'un récit en mouvement, et ses yeux, noirs comme l'encre pure, luisaient d'un feu ancien.
– « Kael d'Elaria. Êtes-vous toujours un citoyen de ce monde ? » demanda le Conseiller Suprême avec froideur.
– « Je suis plus que cela. Je suis sa fracture et sa clef. »
Un murmure d'effroi traversa les sièges. Même les membres les plus fiers du Conseil ressentirent l'ombre du Roi Démon au fond de la voix de Kael.
Ils l'accusèrent :
D'avoir modifié la trame de l'histoire.
D'avoir éveillé des entités scellées.
D'avoir réécrit des lois anciennes sans l'accord du Pacte Primordial.
D'être… une menace narrative.
Mais Kael, calme, répondit :
– « Le monde était en train de mourir de stagnation. Vous l'appeliez équilibre. J'y ai insufflé du mouvement. Vous appelez ça chaos. »
Les débats durèrent des heures. On tenta de le faire fléchir, de le bannir, de le contenir. Mais les chaînes scripturales glissèrent sur sa peau comme de la fumée.
Et alors que les voix montaient… il tendit la main.
Un fragment de la Décomposition Narrative jaillit de son index, et forma une phrase en suspension dans l'air :« Et le Conseil se tut, car la peur d'une fin possible leur coupa la parole. »
Et le Conseil… se tut.
—
Mais il ne venait pas pour dominer.
Il venait pour proposer un choix.
– « Je peux devenir votre plus grand allié… ou votre dernier ennemi. »
Il offrit une vision. Une nouvelle Elaria. Une convergence des fictions. Une Académie d'où émergeraient des êtres capables de transcender les dimensions.
Mais il exigea une chose : l'indépendance totale de son Académie, et l'interdiction formelle à tout pouvoir mondial d'intervenir.
Un long silence suivit.
Puis, contre toute attente… la majorité accepta.
Mais une voix resta en opposition. Une seule.
Un homme encapuchonné, dont la présence semblait effacer les souvenirs des autres. Il n'avait pas été convié, et pourtant, il était là.
– « Tu joues à l'auteur, Kael. Mais tu ignores encore qui tient la plume. »
Kael le fixa. Et un frisson lui remonta la colonne.
Il le reconnut.
Le Faux Auteur.
—
Et le rideau du prochain acte se souleva…